Black Box au Manoir de Mouthier Haute Pierre 2021
Comme dans un songe, on entre dans la Black Box. Les murs parés du noir Houvert absorbent les volumes qui n’apparaissent plus que grâce à leurs arêtes lorsque la lumière les souligne. Le passé de l’ancienne cuisine appartient à l’obscurité pour mieux laisser surgir les œuvres de Frédéric Houvert.
Formes et couleurs se mêlent et se confondent dans une accumulation des motifs, appliqués au pochoir sur les toiles. A la manière de l’adaptation de l’œil à une baisse de la luminosité, les éléments peint émergent et se distinguent progressivement. Les apparitions brouillées offrent des interprétations multiples, qui rendent les frontières du vivant poreuses. Tantôt on croit apercevoir des animaux, tantôt les parties d’un corps humain, et pourtant il s’agit uniquement de végétaux.
Anthurium Mondrian, 60 x 90 cm, 2018 Epipremnopsis Burnt sienna, 130 x 90 cm, 2018
Arrangés en bouquet enchevêtrés, leur répétition invite à plonger au cœur de la peinture. L’espace onirique à la fois dense et profond dépend de la lumière, qui révèle ou dissimule selon la façon dont elle se pose sur la couleur. Ainsi, les plantes semblent prendre vie. Elles naissent, fanent et mettent en mouvement la composition florale sur chaque toile. Tel un jardinier de l’histoire de l’art, Frédéric Houvert ressuscite la nature que la tradition picturale disait morte.
Cassandre Ver eecke
« Les œuvres d’art ne poussent pas dans les salles d’exposition1 », ni les salles d’exposition dans les ronces. Abies, Quercus, orchidées : du pin, du chêne et des fleurs pour une toile évidée comme une treille ou comme une baie supplémentaire ouvrant sur une peinture de végétal. Entre ornement, décoratif et abstraction, Frédéric Houvert propose pour cette exposition à La Centrale trois sculptures en bois moulurées sur un angle, et peintes sur une face du noir Houvert que l’artiste a conçu pour la marque Seigneurie Gauthier. Chacune est rehaussée par un socle, palet de grès émaillé ou de porcelaine. Colonnes, piliers naturels sur fondations de céramique pour un lieu d’exposition sur pilotis et dalle de béton. « Ronce » : on n’attend qu’elle, qui pousse à foison au-dehors, se faufilant entre acacias et peupliers, chardons, bleuets et vigne vierge. Ronce vient tisser le lien, ronce tresse matériau et décor, nature et œuvres d’art. Vitres et fenêtre ouverte par la toile sur le mur sonnent l’invitation à l’invasion poétique, en une affinité de territoires et de vocabulaire, pour un espace où les œuvres d’art pousseraient dans les salles d’exposition, comme les salles d’exposition dans les ronces.
Magali Brénon
1 Hugo Pernet, texte pour l’exposition « Serres », La Mezz, 2013, Lyon.

Asclepias syriaca
Asclepias syriaca (herbe aux perruches)
Les ateliers Vortex 2018
Contre la lassitude
Frédéric Houvert est un poète. Ça pourrait être une espèce de vanne, mais c'est un peu l'image que je me fais de son travail. Pourtant, je déteste absolument qu'on emploie le mot "poète" - et l'adjectif "poétique" - à propos d'autre chose que de poésie à proprement parler. C'est une de mes obsessions, et je mépriserais aussitôt quiconque ferait cette erreur à ma place. Mais je comprends maintenant qu'il n'y a pas d'autres mots pour désigner sa nature d'artiste : les peintures, sculptures et photographies qu'il produit ont une qualité "poétique" indéniable (je vais crever si j'emploie encore ce mot).
Depuis des années, il se sert des mêmes pochoirs en carton de formes végétales épurées - un peu comme s'il les avait découpé directement dans les dessins de plantes d'Ellsworth Kelly. Au départ, le résultat était assez décoratif, à la frontière de l'univers du papier peint ou de l'ornement, mais avec déjà une qualité picturale qui le faisait clairement basculer du coté de la peinture : couleurs imprégnées dans la toile non-enduite, coulures, reliefs, recouvrements... Ces effets de style Painterly venaient redoubler l'aspect séduisant de ces motifs. Et c'était peut-être le seul défaut de ce travail : celui de faire du tableau une forme de sur-décoration (étant entendu que l'expressionnisme abstrait et ses signes extérieurs d'authenticité font depuis longtemps déjà partie du décors).
Un défaut peut devenir une qualité, tous les sites de rencontres le disent. En répétant les mêmes gestes, avec les mêmes outils, en déclinant les mêmes gammes chromatiques, Frédéric Houvert a fini par mener ses tableaux vers un équilibre subtil. Les éléments végétaux se sont dissous dans des variations de gris et de noir, dans la lumière de teintes colorées presque blanches (parfois rehaussées de peinture argentée ou cuivrée), ou se sont à l’inverse détachés plus nettement du fond par contraste. Ce que nous voyons nous apparaît désormais instable et changeant, éblouissant ou imperceptible, comme des formes qu'on devinerait à travers un rideau ou des ombres portées à la surface de la toile. Ce travail contemplatif - associé à une espèce de narcissisme pictural très maitrisé - procure un vrai bonheur à son spectateur : celui de revivre par le regard le plaisir de l'artiste à laisser la peinture se faire, lentement, jusqu'au point où elle semble s'arrêter dans une forme - qui n'est qu'une pose choisie dans un nombre infini d'apparences possibles.
A ce moment de sa carrière, la préciosité froide des tableaux de Frédéric Houvert me paraît retarder la réception de son travail. Certes, cette qualité le tient à l'abri du cynisme et de l'opportunisme qui ont accompagné le revival de la peinture sur le marché de l'art, mais je crois qu'elle conduit aussi un bon nombre de ses spectateurs à sous-évaluer sa hauteur artistique (au nom - comme toujours depuis le procès de Whistler en 1878 - du formalisme invoqué pour discréditer toute œuvre ne semblant pas traiter de "véritable" sujet). Dans un sens, on pourrait reprendre la formule de Ruskin à l'encontre de Whistler pour décrire littéralement la facture de certains tableaux de Frédéric Houvert, pas gêné de nous jeter "un pot de peinture à la figure". Car FH utilise réellement de la peinture en pot, de celle qu'on achète pour la décoration d'intérieur et dont les teintes s’accordent aux plantes vertes, aux meubles design et aux œuvres d'art contemporain. Les couleurs en question sont délicates mais pas des plus plaisantes. Elles sont souvent appliquées ton sur ton, à la limite de la monochromie, ou au contraire dans un jeu de clair-obscur, le plus souvent sur des formats verticaux (grands ou petits, quelquefois carrés, et plus rarement de grands formats horizontaux). Elles portent des noms qui font voyager (Kerguelen, Istanbul, Morzine, Crimée) et qu'on retrouvera dans les titres des œuvres, parfois associés à celui de la plante figurée au pochoir (du genre : Lolium Morzine, ou Laurus IstanbulG). Ailleurs, de la peinture appliquée à la bombe viendra projeter l'image floue de feuilles de palmier, à moins qu’il s’agisse d’une fougère ou d'une Monstera quelconque (je n'y connais rien et je n'ai pas la main verte, contrairement à Frédéric, qui lit aussi des magazines sur les aquariums - ça vaut le coup de le préciser). Il est difficile de distinguer les tableaux les uns des autres. De ce que je sais, beaucoup ont disparus, ont été dégrafés et roulés ou simplement détruits.
Cette nature éphémère, on la trouve également dans les sculptures, photographies et dessins qu'il réalise.
En réalité, bien qu'il semble soucieux des catégories traditionnelles de l'art à travers ces dénominations, chacune de ces pratiques renvoie directement à l'autre : les sculptures sont presque toutes des objets abstraits à demi peints (Jupiter ou Platane), les photographies sont des sculptures "trouvées" ou des mises en scène de sculptures dans un milieu naturel (Au commencement), et les "dessins" sont plus clairement des peintures sur papier. Dans Féroé, il photographie sur une plage une structure de pilotis en bois blanc évoquant un squelette post-apocalyptique de la Villa Savoye, un peu à la manière dont le buste de la Statue de la Liberté surgit du sable à la fin de La planète des singes (celui de 1968). Une apparition fantomatique qui rejoint l’esthétique de ses peintures de plantes, adoptant une forme de passivité qui tranche avec le dogme de l'efficacité en peinture, comme le temps végétal se distingue du temps animal (c'est justement dans ses œuvres sur papier, plus vite réalisées, qu'on trouve quelques animaux : serpents, oiseaux ou poissons). Et c'est peut-être cette temporalité mouvante qui fait toute la poésie* de l'œuvre de Frédéric Houvert, ce flou artistique qui entoure sa pratique et dont lui même s'amuse, en prenant soin de dissiper la ligne qui sépare la naïveté du romantisme, la décoration de la beauté.
Les œuvres d'art ne poussent pas dans les salles d'exposition, mais elles devraient en donner l'illusion. A plusieurs reprises, FH a tenté cette analogie horticole ; dans l'élaboration d'un dispositif d'exposition à base de tasseaux de bois et de bâche plastique transparente (Serres), ou dans les sculptures Greffe et Herbier
(un "tuteur" peint greffé à une souche d'arbre pour la première, des répliques en porcelaine de ses pochoirs végétaux présentés sur un socle vitré pour la seconde). En tant qu’artiste, je me suis toujours demandé comment Frédéric faisait pour ne pas se lasser de ces thématiques. Je n'ai pas de réponse à cette question, mais je comprends en regardant sa peinture et ses autres réalisations que leur temporalité est différente de celles qu’on a l’habitude de voir, que son œuvre croît lentement en elle-même, que des causes identiques produisent un nombre infini de conséquences. Que l’art, dans sa plénitude, rejoint la beauté de ces choses dont on ne se lassera jamais : les miroitements du soleil sur la mer, la course des nuages dans le ciel, la surprise de la première neige tombée sur la ville...
* (Je suis mort)
Hugo Pernet
« Les œuvres d’art ne poussent pas dans les salles d’exposition1 », ni les salles d’exposition dans les ronces. Abies, Quercus, orchidées : du pin, du chêne et des fleurs pour une toile évidée comme une treille ou comme une baie supplémentaire ouvrant sur une peinture de végétal. Entre ornement, décoratif et abstraction, Frédéric Houvert propose pour cette exposition à La Centrale trois sculptures en bois moulurées sur un angle, et peintes sur une face du noir Houvert que l’artiste a conçu pour la marque Seigneurie Gauthier. Chacune est rehaussée par un socle, palet de grès émaillé ou de porcelaine. Colonnes, piliers naturels sur fondations de céramique pour un lieu d’exposition sur pilotis et dalle de béton. « Ronce » : on n’attend qu’elle, qui pousse à foison au-dehors, se faufilant entre acacias et peupliers, chardons, bleuets et vigne vierge. Ronce vient tisser le lien, ronce tresse matériau et décor, nature et œuvres d’art. Vitres et fenêtre ouverte par la toile sur le mur sonnent l’invitation à l’invasion poétique, en une affinité de territoires et de vocabulaire, pour un espace où les œuvres d’art pousseraient dans les salles d’exposition, comme les salles d’exposition dans les ronces.
Magali Brénon
1 Hugo Pernet, texte pour l’exposition « Serres », La Mezz, 2013, Lyon.
Magali Brénon
1 Hugo Pernet, texte pour l’exposition « Serres », La Mezz, 2013, Lyon.



